Le salon | “Est-ce celui-ci d'escargot qui renaît ou bien un autre ?”
Exposition
22.05.2024 — 13.07.2024
Andrés Barón
Alison Flora
Louis Jacquot
Raphaël-Bachir Osman
David Weishaar
Rob Branigan
Sila Candansayar
Tomás Díaz Cedeño
Clédia Fourniau
Cecilia Granara
Victoire Inchauspé
Robert Mapplethorpe
Lena Marie Emrich
Hatice Pinarbasi
Xolo Cuintle
Vernissage
22.05.2024 — 17h
Vacarme silencieux que ces dizaines d’escargots, rampants vivants dans les tombeaux que les étrusques refermaient sur leurs morts. Les escargots sont devenus compagnons dans l’après, des passeurs entre ici-bas et l’au-delà. Cette coquille existe justement dans un entre-deux métaphysique, à la fois cercueil, dans lequel l’animal se contorsionne et s’insère, pour hiberner la saison ou pour toujours, et dont l’animal ressort, bien vivant, né à nouveau. Puisque l’escargot, lorsqu’il entre en hibernation, se replie totalement sur lui-même en bouchant sa coquille, symbolisant le besoin de mourir, de faire le deuil de certaines choses, pour pouvoir mieux renaître à d’autres, et poursuivre son avancée.
Dans une terre grasse et pleine d’escargots,
Je veux creuser moi-même une fosse profonde,
Où je puisse étaler mes vieux os,
Et dormir dans l’oubli, comme un requin dans l’onde.(1)
Nos existences sont des traversées de lieux, des successions de demeures et de rencontres avec nos semblables, dont certains continuent à nous habiter, même lorsqu’ils ne sont plus de ce monde. Loin d’être close sur elle-même, la vie de tout individu est ouverture au monde et aux autres. L’escargot, lui, est nomade parmi les nomades. Les oiseaux migrateurs ont beau voyager, ils finissent par se faire un nid. L’hélice lui ne s’amourache jamais du même endroit, laisse des œufs presque n’importe où, dort là où sa course s’est arrêtée pour la journée. Il s’accorde tout de même quelques mois, où il n’habite plus vraiment, dans un état entre deux mondes, entre deux temporalités, du passé et du futur à la fois. Son devenir pendant ces rares périodes sédentaires est partagé entre ce qu’il a vécu avant, qui fait ce qu’il est, et ce qu’il fera une fois sorti de sa coquille, la seule raison pour laquelle il s’y enferme. Ainsi les escargots ne vivent que dans le mouvement, quand ils marquent l’arrêt c’est pour trépasser avant de renaître.
Et la boucle se déploie sans cesse. Le point de départ de la spirale dessinant la coquille, son centre, est la source ; le point d’émergence dont tout est issu, et qui se déroule à l’infini. L’escargot participe de l’humide et ne sort de terre, comme disent les paysans, qu’après la pluie. Il se trouve lié au cycle des champs, devenu le symbole de la fécondité donnée par les morts, la parure presque nécessaire de l’ancêtre revenu sur la terre des hommes pour la féconder, porteur de tous les symboles de la face du ciel et des orages bienfaisants. Alors chaque nouvelle boucle est la répétition d’un cycle faisant de la forme hélicoïdale de la coquille de l’escargot un glyphe universel de la temporalité entre lenteur et renouveau.
Comme tel, l’escargot incarne la théophanie lunaire et indique la régénération périodique : l’escargot comme la lune apparaît et disparaît ; mort et renaissance, thème de l’éternel retour.
Leurs voluptés sont non seulement le double des nôtres, mais elles sont beaucoup plus durables. Les colimaçons se pâment trois, quatre heures entières. C’est peu par rapport à l’éternité, mais c’est beaucoup par rapport à vous et moi.(2)
L’hermaphrodite escargot s’adonne à des ébats amoureux, prolongés et réciproques. Certains d’entre eux sont connus pour leur “flèche d’amour”. Pendant l’accouplement, cet élément est décoché vers le partenaire. La “flèche d’amour” devient le messager de la reproduction. Telle une célébration de la vie, les coquilles s’entrechoquent dans une orgie visqueuse, tel dans un ballet envoûtant, le tout sublimé par cette bave distinctive, pailletée et brillante, en chemin de l’amour. Une salive qui accompagne la création des prochains, et qui lustre nos peaux qui passent.
La cosmétique, avide de maîtriser les effets du temps, promet par l’utilisation de la bave d’escargot l’élixir de jouvence, comme si définitivement l’escargot portait en lui-même une éternité. Est-ce que ce n’est qu’en cosmétique que l’escargot nous fait renaître éternellement ? Suivant son exemple, ce qu’on laisse derrière nous, coquilles ou pensées, ne sont-elles pas des naissances ?
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1 BAUDELAIRE Charles, “Le Mort joyeux”, Les Fleurs du mal, Paris, 1851.
2 VOLTAIRE, L’évangile du jour contenant Colimaçons (Les) du Révérend Père l’Escarbotier, 1769.
Texte | Thomas Havet & Ulysse Feuvrier
Communiqué de presse
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Catalogue