L’exposition “La rencontre des eaux” est un paysage composite dont les reliefs et les teintes sont définies par les œuvres hybrides de Jot Fau et de Margot Pietri. Ces créations sont des fragments de récits d’époques différentes qui confluent pour la première fois à la faveur d’une intuition : au-delà des différences formelles, ce sont deux univers modelés avec la même glaise.

La narration est à la source de leurs pratiques respectives. Depuis ses premières pièces jusqu’aux plus récentes, la notion d’”histoires racontées” est centrale pour Jot Fau. Ces histoires ont d’abord été uniquement personnelles, puis elles ont englobé celles de ses proches pour finalement tendre vers quelque chose d’universel. Invariablement, l’artiste interroge nos identités et plus précisément “ce qui nous fait”. Selon elle, l’un des éléments qui nous constitue est le langage. Polyglotte, Jot Fau manie les mots avec précision pour élaborer les titres que nous retrouvons souvent intégrés dans ses pièces. Ils sont des boussoles qui nous orientent autant qu’ils nous perdent. Il en est de même pour Margot Pietri. Les noms de ses œuvres évoquent pour certains un langage numérique, temporel et météorologique qui raisonnent avec les émojis, les caractères spéciaux ou encore les grilles gravées et dessinées sur ses objets. Ces signes renvoient de manière allusive aux auto-fictions qu’elle couche sur son clavier et qui servent de trame de fond à l’élaboration de son ouvrage. Le verbe n’est pas pour autant déconnecté du geste. La main active est un autre fondement de leur art.

Qu’il s’agisse du travail du textile pour Jot Fau ou du métal pour Margot Pietri, la main est constamment sollicitée : elle prélève, sépare et assemble. Autodidactes dans les techniques artisanales de la broderie et de la couture pour l’une, de la métallerie pour l’autre, elles inventent de nouveaux procédés qui s’opposent à l’idée de rapidité. Cette approche empirique aboutit à des résultats inattendus et leur permet d’être en état de recherche perpétuelle, au gré des trouvailles.

La plupart des matériaux qu’elles utilisent sont des rebuts apportés et entreposés dans l’atelier. Bien qu’usés et imparfaits, les cuirs et les tissus continuent de protéger les artefacts que Jot Fau recouvre, là où Margot Pietri étire des chutes d’acier pour créer des formes simplifiées. Ces réemplois, initialement motivés par un souci économique, se sont mués en préoccupation écologique et symbolique : la création artistique est synonyme de transformation et de réparation. Le traitement particulier de la matière première s’accompagne d’une attention aux couleurs.

Margot Pietri enduit ses supports de jesmonite, un mélange à base de gypse et d’un constituant acrylique, et de résine époxy mêlée à des pigments. En résulte des couches de substances retravaillées opaques ou transparentes, parfois suintantes, qui vont du blanc au noir, avec des touches jaunes, bleues et violettes. Ces coloris sont porteurs d’une charge émotionnelle qui dialogue avec les symboles qui parcourent les stèles. Pour Jot Fau il s’agit de chercher patiemment l’harmonie et la justesse dans les nuances des étoffes associées au bois et aux photographies. Les œuvres ainsi élaborées bouleversent les repères artistiques.

Les sculptures-peintures de Margot Pietri sont indistinctement fixées aux cimaises ou posées à même le sol. Il en est de même pour les créations souples de Jot Fau qui peuvent être portées ou déposées sur une structure. C’est le contexte d’exposition qui détermine leur statut.
Au final, contempler “La rencontre des eaux” revient à se plonger avec pudeur dans l’intimité de deux artistes. Une sensation de recueillement nous envahit face aux fragments d’une civilisation difficile à dater, à la fois proche et lointaine.

Texte d’exposition | Joris Thomas